Par Zoé L. Sirois
Intégrer avec le coeur: les pleurs du bébé en garderie
Septembre est là et d’ici octobre, les groupes se rempliront de messages d’éducatrices dépassés par une situation tout aussi intense que répandue: un nouveau bébé en intégration qui pleure beaucoup, ou qui pleure encore après 1 ou 2 mois..
C’est difficile pour l’éducatrice ainsi que pour tout le groupe de composer avec cette situation. Voici le premier de deux articles sur ce sujet.
Commençons par cette affirmation: si c’est vrai que les pleurs du bébé sont normaux, ils ne sont pas banals.
Le bébé en intégration ne pleure pas pour le plaisir de déranger l’éducatrice ou encore moins par caprices, mais parce qu’il vit quelque chose de gros, de grand, de réellement inquiétant même! Pensez-y, peu importe à quel point ses parents le préparent, ça reste très anormal pour le bébé de soudainement passer ses journées dans un nouvel endroit, où les sons, les odeurs, tout est différent. L’éducatrice le tient d’une façon différente. Les repas n’ont soudainement plus le même goût, la même texture, la même odeur.
Chacune le sait de façon rationnelle mais se rappeler ce qu’il vit peut grandement nous aider à mieux l’accueillir au niveau émotionnel. Se connecter à cette information quand il pleure fort depuis 1 heure, ça permet de nous ramener dans le rationnel. Pour les plus visuels d’entre nous, ça peut être aidant connecter à la vulnérabilité du bébé devant nous, à son importance pour ses parents (pour sortir de la banalisation des bébés à force d’en voir). Parce que sans le vouloir, parfois, notre cerveau peut créer un amalgame de tous ceux que l’on a vu pleurer et en tirer une régularité. Et le danger ici c’est de perdre de vue que nous avons vu des dizaines de bébés mais celui-ci devant nous, c’est sa première garderie ou la deuxième. Que son bagage d’expériences jusqu’à maintenant est unique. Et ce, même s’il est dans un groupe de 5 nouveaux bébés et que les 4 autres semblent coopérer davantage.
On ne prend pas soin de tous les bébés comme d’un groupe homogène dont seul le visage change au gré des rentrées. On prendra soin aujourd’hui de ceux devant nous, plus encore de celui là qui est en train de pleurer devant nous, avec ses défis et ses forces.
Et c’est une chance énorme. Je veux prendre le temps de te le dire, à toi qui as choisi, pour la première ou centième fois, d’être la donneuse de soins d’un bébé (ou deux, ou cinq) qui n’est pas le tien. Avant que tu sois envahis par les couches à changer et les pleurs, prends le temps d’y réfléchir. Des parents ont, il y a quelques mois à peine, rencontré ce bébé après l’avoir probablement espéré pendant des mois. Ils ont peut-être compté ses orteils et ses doigts, observé ses premiers sourires…
Ils ont tenté de faire les meilleurs choix pour lui et un de ces choix, c’est toi. Ce petit bébé n’a peut-être jamais été avec un autre adulte que ses parents, ou peut-être que oui.
Tu es sa première fenêtre sur le reste du monde, à l’extérieur de sa famille/son entourage proche, celui qui l’aidera à se forger une idée de comment le monde est prêt à l’accueillir.
De par tes interactions positives avec lui, il recevra le message que le monde est beau, qu’il est un être humain digne d’intérêt, de respect. Que ses besoins comptent.
Et là peut-être que vous vous dites, c’est bien beau tout ça mais peu importe ce que je fais, il pleure.
Notre rôle n’est jamais d’empêcher les pleurs, soyons clairs.
Pleurer est sain, pleurer dans ce contexte est normal. Pleurer n’est pas un caprice mais une des seules façons d’exprimer l’éventail des ressentis, malaises, du bébé. Je dis une des seules et non la seule car les poupons utilisent d’autres façons plus subtiles: certains refusent de manger/boire tant que le lien de confiance ne sera pas créé. Dormir sera aussi affecté. Ce sont tous des signes que l’enfant ne se sent pas encore en sécurité, attaché pour se déposer complètement. (Il y a une phase normale de curiosité lors des premiers jours, les réactions sont souvent moindres avant de grandir ensuite. C’est dans le registre de la normalité et non une forme de manipulation du bébé.)
Notre rôle lors des pleurs est de travailler activement à bâtir un lien significatif et sécurisant avec le bébé devant nous. Quand il pleure, ça peut ressembler à verbaliser ce qu’il vit, y mettre des mots, le garder à proximité, proposer des gestes calmants (caresser les cheveux, chanter, le mettre en portage.) Si pour une raison ou une autre, c’est une journée où c’est plus difficile pour nous d’être dans ce rôle de proximité en projetant la disponibilité et la douceur, la poussette est souvent une bonne alternative. Le bébé peut s’apaiser lors d’une bonne vieille ballade en poussette dehors (ou dans la maison! Osez entrer la poussette!). On peut en profiter pour chanter ou parler pour qu’il s’habitue à associer notre voix à l’état de calme qu’il ressent dans la poussette.
D’autres aménagements sont possibles pour faciliter les premiers jours: un bébé craintif des enfants pourrait se sentir plus en sécurité en hauteur pour observer le groupe, dans une chaise haute ou une balançoire par exemple. Il est aussi possible de créer un endroit réservé à un bébé non-mobile en utilisant une doudou sur laquelle les autres enfants ne doivent pas aller. Petit truc: plutôt qu’un coin permanent réservé aux poupons, changez régulièrement la doudou de coin pour que le bébé ait accès à différents points de vue, différents angles.
Notre rôle consiste également à utiliser ces moments comme propices à l’intervention éducative: en verbalisant au bébé notre perception de la situation, nous travaillons activement à lui donner des mots pour ce qu’il vit. Décrire est, dans ces moments, un outil puissant. Lorsqu’on se met en mode observateur, c’est aussi plus facile de ne pas être envahis par les pleurs.
-Oh tu pleures, je me demande si tu as faim.
(Bébé repousse le biberon.)
-Oups, Pas maintenant le lait, tu t’es bien fait comprendre.
-J’ai l’impression que tu voudrais maman et papa, oui, maman et papa, maman et papa (le bébé se calme en entendant ces mots alors je les répète). Tu es dans les bras de Zoé et tu voudrais maman et papa…. Tu es triste et c’est ok d’être triste, je suis là.
Pour les autres enfants aussi, nos gestes et paroles lorsque nous verbalisons ce que vit le bébé en étant doux avec lui a de l’importance. Nous leur donnons un modèle d’empathie et d’interprétation des messages non-verbaux. S’ils venaient chez nous lorsqu’ils étaient poupons, ça peut être une belle activité que de ressortir des photos, leur parler de ce qui les calmait à l’époque.
Je parle beaucoup du bébé mais le rôle de l’éducatrice lors de l’intégration est également de veiller à faciliter l’intégration du parent. Le non-verbal du parent donnera de nombreux indices au bébé quant à comment il se sent avec cette nouvelle situation…. et le bébé, selon son tempérament, pourrait être plus ou moins rassuré. C’est important donc de rassurer le parent pour qu’il puisse envoyer un message de confiance à son bébé. Quand le parent parlera avec ses amis, sa famille de l’intégration du bébé pendant que le petit joue pas loin, même ça, ça peut influencer sur votre quotidien. En donnant des signaux positifs ET réalistes, vous pouvez créer une onde de positivité autour de l’intégration.
Une action simple à poser c’est d’envoyer un message au parent lorsque le bébé s’est apaisé après son départ, spécialement si le bébé a beaucoup pleuré. S’il pleure encore, ça peut être un message après son départ expliquant ce qu’on fait activement pour aider son bébé, ce qu’on essaiera demain.
Le parent n’est pas la bonne personne à qui se « défouler » d’une intégration difficile parce que, se faisant, on augmente son stress donc potentiellement celui du bébé.
Si on envoie le message que les pleurs du bébé nous dépassent, ce que le parent entends c’est souvent : »j’ai fait quelque chose de mal / mon bébé est mauvais. » Pourquoi ? Parce que le parent nous voit comme une professionnelle et nos paroles ont souvent une portée plus grande que nous l’imaginons. En cas de doute, attendez que l’émotion soit passée avant d’envoyer un message.
Notre objectif c’est plutôt que le parent se sente en confiance, compétent en tant que parent de garderie et qu’il ait de l’espoir que la transition fonctionnera. Ça ne veut pas dire qu’on ne l’informera pas des problèmes significatifs, mais surtout qu’on veillera à adopter un langage d’ouverture et de mode solutions plutôt que de juger son bébé comme étant « mauvais ». Et un parent qui se sent en confiance quand il dépose son bébé dans notre milieu, le bébé le ressent et ça peut aider et beaucoup.
Un dernier petit truc
Quand je travaillais comme photographe et que j’avais à prendre la photo d’un jeune enfant (souvent en 1 ou 2 heures) je devais établir un lien rapidement afin qu’il soit disponible pour jouer avec moi. Une des façons d’accélérer ce petit lien, c’était l’utilisation de jeux d’aller-retour. Par exemple : je pouvais faire rouler un ballon vers l’enfant, son parent me le renvoie, et éventuellement voyant son parent le faire, l’enfant dans ses bras osait le faire. Le fait de faire passer ce ballon d’un à l’autre pouvait avoir un impact presque magique sur les enfants très timides. Ça peut être un petit truc pour les enfants très inhibés lors de la première approche.
Le prochain article portera davantage sur la conciliation des besoins du groupe entier avec ceux du bébé en intégration et j’aborderai aussi la fameuse question du choix de faire un coin poupon (ou non).
Zoé