Par Zoé L. Sirois
Le jeu risqué initié par l’enfant n’a rien de nouveau. D’ailleurs, il fait probablement partie intégrante de vos souvenirs de jeux d’enfants : cache-cache, la tag, courrir, tourner jusqu’à en tomber au sol, grimper…. Vous n’y avez probablement jamais songé à l’époque mais se perdre, se heurter avec vitesse ou de haut représente un certain risque.
La différence c’est qu’aujourd’hui, nous sommes un peu dans un mouvement de balancier cherchant l’équilibre comme société : c’est à dire que les risques inhérents à ces jeux sont maintenant connus, que des façons d’éviter les risques ont été découvertes… mais que finalement, nous avons réalisé qu’éviter tous les risques n’était pas souhaitable pour le développement de l’enfant. Voilà: nos peurs d’adulte ne doivent pas freiner les élans, les initiatives de nos enfants parce qu’ils ont besoin de développer des habiletés et une connaissance de leurs limites personnelles.
L’adulte qui choisit la gestion du risque comme approche plutôt qu’un évitement arbitraire de tout risques passera, par exemple, de l’interdiction classique « Aucun enfant ne peut jouer avec des branches parce que c’est dangereux! » à une vision beaucoup plus dynamique : « Les branches peuvent être utilisées dans les jeux selon certaines conditions. » Ces conditions sont appelés à être malléables selon les capacités de chaque enfant, le groupe et selon l’environnement. Par exemple, dans un grand espace ouvert, je laisserai un 2 ans traîner au sol une grande branche mais dans une petite cour avec plusieurs jeunes enfants, les branches disponibles pour ce même enfant seront courtes et j’aurai sablé les bouts pour qu’ils ne soient pas pointus. Dans cette même cour, des enfants de 6 et 8 ans très habitués à gérer le risque du transport d’objets longs pourront utiliser de grandes branches dans un coin désigné pour bâtir des cabanes.
Sabler les extrémités, sélectionner le matériel(garder seulement les branches courtes) ou désigner un coin, sont toutes des approches permettant à l’adulte de diminuer le risque sans passer uniquement par les consignes destinés aux enfants.
Il est important de comprendre que le jeu risqué n’est pas seulement un « oui, prenez des risques », mais plutôt un « Vous pouvez prendre des risques, parce que l’adulte évalue activement la situation pour contrôler les dangers. » Les dangers, ce sont les situations où la balance penche du mauvais côté : le risque de se faire mal est plus grand que le positif qu’il tirera de cette situation. Quand je nomme « se faire mal », je parle de blessures plus graves qu’un hématome ou une égratignure. Pour vous donner un exemple clair, pensons à un tout-petit qui grimpe. S’il est encore malhabile, précaire dans son équilibre, je m’assurerai que les endroits où il peut monter facilement sont moins haut que sa propre hauteur et qu’il est facile pour moi de le voir monter pour pouvoir m’approcher pour mieux évaluer la situation. Parce que tomber de cette hauteur sera probablement peu grave par rapport à ce qu’il pourra apprendre sur comment prendre une prise solide, se stabiliser, se protéger lorsqu’il tombe.
Dès que sa compréhension le permettra, je pourrai le coacher pour qu’il apprenne à toujours s’assurer 3 contacts avec le matériel de grimpage, qu’il tienne compte des facteurs extérieurs modifiant sa préhension (matériel mouillé par exemple), qu’il apprenne à interpréter s’il se sent en sécurité ou pas, à rapprocher son corps lorsqu’il a besoin de retrouver son équilibre etc, etc. En passant, le fait d’acquérir un vocabulaire autour des sensations en prise de risque du type « Je me sent en sécurité. » ou « Je ne suis pas à l’aise, ceci ou celà m’inquiète. » est selon moi un grand avantage de ce type de jeux.
Au fil de ces acquisitions, il pourra monter de plus en plus haut et sur des matériaux représentant un défi de plus en plus grand. Ça peut sembler un long travail mais ces compétences lui seront utiles toute sa vie. Apprendre à peser les risques d’une situation, à se dépasser mais sans se retrouver à se sentir dépassé sont des bases solides pour la vie adulte.
Voilà l’objectif : au fil du temps, les enfants seront de plus en plus autonomes pour prendre en charge leur propre sécurité dans une foule de situations variées. Plutôt que de se sentir renversé, paralysé par le risque, ils auront appris à y naviguer avec une foule d’outils.
J’aimerais préciser que le côté dynamique de cette approche permet de répondre aux besoins de tous les enfants. Certains enfants à besoins particuliers demanderont peut-être une observation plus longue de la part de l’adulte afin de comprendre ce qui représente ou non un risque pour eux, mais ils vous surprendront assurément.
Personnellement, je suis la maman d’un petit garçon ayant un trouble de la coagulation dont mon évaluation du risque pour lui tiens compte de cette réalité, ce n’est qu’un facteur de plus à considérer et non un empêchement.
Si cette petite incursion dans l’univers du jeu risqué initié par l’enfant vous as donné le goût d’essayer, je vous partage un premier outil. Pour commencer à laisser de l’espace au jeu risqué dans son milieu ou sa famille, il y a deux questions à garder en tête:
– Quel est le risque de cette situation?
– Si le risque est trop grand, y-a-t-il des moyens que je peux prendre pour diminuer ce risque à un niveau acceptable ?
Afin de vous donner un dernier exemple: jouer à cache-cache dans le noir dans une grande forêt sans délimitations claires est lié à un risque accru de se perdre (même pour des adultes!) ou de se blesser. En ajoutant des lampes de poches, des talkie-walkies et/ou la consigne de se cacher deux par deux et en choisissant une section clairement délimitée où jouer, le risque d’avoir du plaisir devient plus grand que le risque d’un incident. Et que dire des souvenirs qu’ils en garderont! 🙂
Pour conclure, je dois vous avouer que je rêve à un terme plus positif qui pourrait résumer tout ce qu’englobe le jeu dit risqué. Contrairement à ce semble annoncé son titre, je ne crois pas que le risque soit la partie la plus importante de ce type de gestion. J’aimerais qu’on en retienne plutôt la confiance: avoir confiance en l’enfant et ses initiatives, avoir confiance en notre capacité à gérer le risque, avoir confiance que le risque en vaut la chandelle. Si nous avons réussis, comme société à acquérir tant d’informations sur comment éliminer le risque, je crois que ça signifie que ces connaissances pourraient et devraient être réinvestis afin de trouver la juste balance entre risque et confiance.
Zoé