Par Zoé L. Sirois
J’ai assisté à une conférence donnée par un grand mathématicien québécois (Robert Lyons) dernièrement à l’occasion d’un congrès sur l’éducation à domicile. Une phrase qu’il a dite m’a particulièrement marquée et a beaucoup résonné avec moi. Il a parlé de l’importance que les enfants puissent voir les mathématiques, c’est-à-dire ne pas seulement savoir par cœur mais comprendre réellement ce que la situation sur la feuille devant eux représente. Quand on leur nomme une situation utilisant par exemple une fraction, on veut qu’ils puissent s’imaginer ce que ces ⅜ de pizza garnies de champignons représentent dans la vraie vie plutôt que de tomber dans un algorithme appris par cœur, sans pouvoir s’imaginer la situation. Et ça m’a immédiatement fait réfléchir au jeu libre. Qu’est-ce qui prépare le mieux les enfants à imaginer facilement les différentes situations qui vont se présenter à eux que le jeu libre?
Le jeu libre, dirigé par l’enfant et en quantité suffisante, forme des fondations sur lesquelles les apprentissages peuvent venir s’appuyer. C’est une des raisons pourquoi même à l’âge scolaire, laisser de la place au jeu demeure important et devrait être une priorité même. Ces heures passées à être tantôt médecin, pompier, réparateur, papa ou maman les préparent à s’imaginer dans la peau d’un autre, à prendre la place de Luc qui veut organiser une sortie scolaire avec un budget de 200$ et qui regarde les différentes options qui se présentent à lui. Ces heures passées entre eux à constamment s’adapter parce que leurs plans du jeu diffèrent, mais qu’ils veulent trouver une solution, les prépare à faire preuve de flexibilité cognitive, à ne pas se décourager quand le premier calcul ne fonctionne pas et à trouver une nouvelle idée.
Ce temps passé à oser marcher sur un tronc d’arbre un peu instable et à prendre des risques les aide quand ils sont incertains et hésitent à se lancer dans un problème plus difficile. Parce qu’en petite enfance, ils ont pris des dizaines d’initiatives, certaines aussi simples que de se lancer à mettre seuls leurs souliers. Ça fait qu’ils savent qu’ils sont bons, qu’ils sont capables de faire des choses difficiles et que la prise de risque est souvent positive au final. Cette confiance acquise les supportera toute leur vie.
Et que dire de tout ce que le jeu peut apporter en expériences mathématiques pertinentes! Les enfants ont besoin de jouer et de voir la différence entre quelques blocs et beaucoup de blocs, à sentir la différence de poids dans ces dernières situations, la répartition dans leurs bras quand ils tentent de les transporter pour avoir une image claire dans leur tête quand on compare des nombres ou des poids, sur papier. Ils ont besoin de partager/gagner/perdre des collations, des jetons, des parties de soccer, des toutous,(etc.), pour se préparer aux opérations mathématiques. Je pourrais continuer longtemps… mais je vais y aller de quelques recommandations issues de mon expérience en terminant.
Plutôt que de les asseoir pour leur donner des feuilles d’activités de pré-mathématique, donnez-leur du matériel polyvalent varié en quantités assez grandes pour qu’ils puissent les trier, ordonner et compter s’ils le souhaitent. Plutôt que de les mettre en cercle pour leur présenter un concept mathématiques, créez une conversation naturelle utilisant des mots, un vocabulaire mathématique sur les actions qu’ils prennent d’eux-mêmes en jouant au médecin ou à l’épicier.
Ne faites pas de la numératie un apprentissage isolé, qui serait séparé de tout le reste ou qu’on réserve à des moments précis : laissez la numératie se déployer là où elle prend tout son sens, particulièrement en enfance: dans le quotidien.